Mémoires d'un témoin du siècle : les carnets (1958-1973) - Malek Bennabi - Héritage
« Quand al-Wardi m’avait rendu visite l’autre soir, il m’a raconté une scène où l’on voit le Dr Lamine pleurer, ce qui est fort inattendu pour un zaïm. L’intellecto-zaïm avait demandé des précisions au sujet de Lazhar Cheriet. Et quand al-Wardi lui eut raconté la fin du héros, abattu par les acolytes de A. R., le zaïm — paraît-il — s’est mis à pleurer. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas ses larmes ou son émotivité, mais l’ignorance qu’ils cachent ! Car comment se fait-il que ce zaïm ignore ce que tout le monde sait, même les simples étudiants, à savoir que Lazhar Cheriet a été exécuté par les mêmes mains qui ont exécuté Ben Boulaïd, Laghrour, etc. ?
« Quand al-Wardi m’avait rendu visite l’autre soir, il m’a raconté une scène où l’on voit le Dr Lamine pleurer, ce qui est fort inattendu pour un zaïm. L’intellecto-zaïm avait demandé des précisions au sujet de Lazhar Cheriet. Et quand al-Wardi lui eut raconté la fin du héros, abattu par les acolytes de A. R., le zaïm — paraît-il — s’est mis à pleurer. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas ses larmes ou son émotivité, mais l’ignorance qu’ils cachent ! Car comment se fait-il que ce zaïm ignore ce que tout le monde sait, même les simples étudiants, à savoir que Lazhar Cheriet a été exécuté par les mêmes mains qui ont exécuté Ben Boulaïd, Laghrour, etc. ? Pourquoi cet homme est-il zaïm avec une telle absence de sens critique et d’intelligence des situations ? Il aura traversé la Révolution algérienne et même — dérision ! — il l’aura dirigée sans rien comprendre à sa signification et à ses dessous. Mais au fond, c’est bien pour cela qu’il est zaïm, c’est-à-dire soit un complice conscient du colonialisme — ce que Lamine n’est pas — soit un homme de tout repos qui ne pose aucune question dans une étrange situation où précisément le colonialisme ne veut pas de poseurs de questions qui peuvent déranger son jeu. »
« (…) en 1955 et au début 1956 — c’est-à-dire tant qu’il y avait un esprit révolutionnaire en Algérie —, les vaillants combattants faisaient leurs coups de main contre les agglomérations comme Tébessa en plein jour et aux cris de “Allah Akbar !”. Et ces combattants s’appelaient “moudjahidin” et ne voulaient pas d’un autre titre rappelant une organisation militaire ordinaire, comme leur avait fait la suggestion Ben Bella à l’époque, parce que sans doute il avait hâte de se nommer “général Ben Bella”. Le cri de “Allah Akbar” était le cri de la Révolution algérienne, le rugissement du lion, le mot de ralliement des compagnons de Ben Boulaïd, des héros du 1er novembre 1954. C’était le cri qui faisait trembler le colonialisme parce qu’il se rendait compte, tant que ce cri était poussé, que la Révolution avait encore une âme… Mais il a compris que cette âme ne s’est échappée du filet boulitique qui l’emprisonnait jusqu’au 1er novembre 1954 que par miracle, parce qu’un homme qui n’était ni zaïm ni intellectomane avait déchiré le filet boulitique en cette nuit mémorable. Aussi, je comprends combien le colonialisme a dû dépenser d’ingéniosité pour abattre d’abord cet homme afin de reprendre l’âme algérienne dans le filet boulitique. »
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